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lundi 22 octobre 2012

Les Islandais se prononcent sur une nouvelle Constitution écrite par "des gens ordinaires"

Les Islandais sont appelés aux urnes, mais rien dans la ville n'indique qu'une campagne électorale bat son plein.

En Islande, les résultats décevants de l'équipe de football nationale déclenchent décidément bien plus de passions que les élections. Avec peu d'enthousiasme, les quelque 320 000 habitants de cette petite île perdue au milieu des eaux froides de l'Atlantique Nord avaient réélu en juin leur président, Olafur Ragnar Grimsson. Cette fois, c'est dans une indifférence générale qu'ils doivent se prononcer, samedi 20 octobre, sur une nouvelle Constitution.

Le scrutin est pourtant historique, dans cette petite démocratie parlementaire où la loi fondamentale, adoptée à la hâte en 1944 après l'indépendance de l'île, reste calquée sur celle du Danemark. Le nouveau texte proposé au référendum est d'autant plus novateur qu'il a été rédigé par un groupe de vingt-cinq "gens ordinaires", représentants de la société civile, directement élus en 2010 par et parmi le peuple. Mais ce qui devait constituer l'aboutissement d'une révolution démocratique ne fait plus fantasmer que les Européens, persuadés d'assister à la naissance de "la démocratie de demain".
LA "RÉVOLUTION DES CASSEROLES"
Après une crise financière sans précédent qui, en 2008, avait mis à terre tous les fondements de leur société, les Islandais aspiraient pourtant au changement. Casserole à la main, nombre d'entre eux étaient descendus dans les rues de Reykjavik en 2009 pour obtenir la démission du gouvernement, et porter pour la première fois à la tête du pays une majorité de gauche.
A peine désignée première ministre, Johanna Sigurdardottir annonçait alors l'organisation d'un débat national sur la Constitution, et la tenue d'élections pour former une Assemblée constituante chargée de rédiger un nouveau texte fondamental. Une mesure que beaucoup ont perçu comme un symbole du changement, mais qui avait surtout une justification politique, puisqu'elle était la principale condition pour que survive la coalition de gauche.
LES PREMIERS SIGNES DU DÉSINTÉRÊT POPULAIRE
En novembre 2010, près de cinq cents candidats issus de la société civile se présentent alors pour rédiger la nouvelle Constitution. Agriculteurs, postiers, ouvriers, professeurs, entrepreneurs, avocats : tous aspirent à devenir les "sages" qui refonderont le pays. Mais un taux d'abstention record – 36 % de participation, le plus faible de l'histoire du pays – vient sanctionner l'élection, et trahit les premiers signes d'un certain désintérêt populaire.
L'Assemblée constituante a travaillé pendant quatre mois pour présenter un nouveau projet de Constitution.
"Il y avait beaucoup de handicaps : une médiatisation faible, une campagne très courte, un manque évident de pédagogie, et un mode de scrutin particulièrement complexe, analyse Rosa Erlingsdottir, professeure de sciences politiques à l'université de Reykjavik. Mais ce premier résultat montrait déjà un décalage entre les attentes du peuple et le processus mis en place." Les vingt-cinq élus sont d'ailleurs pour la plupart issus des élites de la société islandaise, et certains avaient même occupé par le passé des postes politiques de premier rang.
UNE E-RÉVOLUTION EN DEMI-TEINTE
Pendant quatre mois, ces élus d'un nouveau genre ont donc planché sur leur projet de Constitution. Pour les aider dans leur démarche, un processus unique a également été mis en place sur Internet. Grâce aux réseaux sociaux, tout Islandais pouvait en effet contacter directement les membres de l'Assemblée constituante, ou réagir aux projets d'articles mis en ligne. Mais là encore, la "e-révolution" annoncée par tous les médias européens n'a pas été à la hauteur des espérances. Au total, l'initiative n'a recueilli que 3 600 commentaires, et 370 propositions d'articles. Un chiffre décevant même dans un pays qui compte autant d'habitants que la ville de Nice.
Le texte qui en ressort est cependant "loin d'être dénué d'intérêt", souligne le sociologue Helgi Gunnlaugsson. "Il recoupe toute une série d'inquiétudes qui traversent la société islandaise, que ce soit au niveau de la liberté d'informer, la manière de nommer dans la fonction publique, le rôle des institutions et la manière qu'a le peuple d'interagir avec elles, mais aussi la protection des ressources nationales", analyse-t-il.
Des enjeux que traduit bien le préambule du texte : "Nous, peuple d'Islande, souhaitons créer une société juste offrant les mêmes opportunités à tous. Nos origines différentes sont une richesse commune, et ensemble nous sommes responsables de l'héritage des générations : la terre, l'histoire, la nature, la langue et la culture."
Pour Katrin Oddsdottir, l'une des vingt-cinq membres de l'Assemblée constituante, "le projet final est une vraie avancée pour la société islandaise, et constitue l'aboutissement d'un consensus global". "Nous n'étions pas tous d'accord, mais nous avons passé des journées entières à discuter pour parvenir à un texte qui peut vraiment rendre une cohésion à la nation islandaise", explique cette jeune avocate, qui s'est fait connaître par son implication dans la "révolution des casseroles". Consciente des limites du projet, elle déplore que le texte n'aille "pas assez loin sur certains points, notamment sur la conservation écologique de notre île", mais est particulièrement fière de certaines avancées en matière d'égalité des sexes, ou encore "d'avoir inscrit dans la Constitution que l'Islande ne pouvait pas avoir d'armée".
LIMITES ÉTHIQUES
Beaucoup de spécialistes n'hésitent pourtant pas à critiquer les limites éthiques et juridiques du processus. C'est le cas notamment de Ragnhildur Helgadottir, professeure de droit à l'Université de Reykjavik. Si elle a conseillé les vingt-cinq membres de l'Assemblée constituante dans la rédaction du texte, elle estime que les élus, désignés dans la précipitation, restent "de grands inconnus" pour la population. "Or, puis-je voter pour quelqu'un chargé de rédiger la Constitution de mon pays alors que je n'ai aucune idée de sa conception du rôle de président de la République ou de ses propres intérêts en matière écologique, par exemple ?"
Un obstacle qui se double pour Ragnhildur Helgadottir d'une limite pragmatique. Une Constitution reste en effet "un texte éminemment formel, régi par une série de codes législatifs qui ne sont pas à la portée du premier venu. Même si le peuple vote oui au référendum, on ne sait pas si, dans les faits, le texte pourra être ratifié."
La crise qui a secoué l'île en 2008 a ébranlé les fondements de la société.
"LA BATAILLE DE L'ISLANDE"
Samedi, les Islandais devront donc décider s'ils préfèrent garder leur ancienne Constitution ou opter pour la nouvelle. Et le résultat de ce scrutin sera observé de près par toute la classe politique islandaise. Le Parti de l'indépendance, très conservateur, a en effet appelé les électeurs à voter "non" au référendum, "d'une part parce qu'il juge ses rédacteurs incompétents, d'autre part parce que l'Althingi [le Parlement] n'a pas eu à se prononcer sur le texte", explique Michel Sallé, docteur en sciences politiques et spécialiste de l'Islande.
Si la consigne est très suivie, cela pourrait constituer un bon indicateur en vue des élections législatives du printemps, où la droite, très bien placée dans les sondages, espère revenir au pouvoir. La réélection du président sortant en juin, pour un cinquième mandat, les avait déjà confortés dans cette perspective.
Un enjeu électoral que n'a pas manqué de souligner dans un éditorial très remarqué le journaliste et écrivain Hallgrímur Helgason, sur le site d'informations islandais The Reykjavik Grapevine. Sous le titre "La Bataille de l'Islande", il rappelle que derrière le référendum se joue "une bataille entre le vieux château, qui n'a désormais plus de pouvoir mais conserve l'argent, et les gens de la rue, ceux qui ont pour l'instant encore du pouvoir, mais sont terrifiés que cela s'arrête au printemps. Pour se préserver, ils veulent écrire leurs propres règles, avant que ceux qui ont déjà échoué par le passé reprennent l'avantage."

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